• A l’écoute de l’inquiétude

     

    Elle monte, irrationnelle, pesante et effrayante.

     

    Elle est née de longtemps à l’époque de l’enfance.

     

    À la faveur d’un cri, d’un mot d’effroi, d’un manque,

     

    d’un coup de fusil, d’une claque aveuglante.

     

    Se répétant souvent sans raison appréciable.

     

    Sans jamais rien qui ne l’excuse, ne l’explique.

     

    Faisant fi de la confiance,

     

    elle est venue s’établir comme en terrain conquis.

     

    S’engouffrant aux cellules, inhérente à elles.

     

    Dormant là, au calme, quand rien ne s’inscrit à la faire surgir,

     

    il suffit d’une absence trop prolongée de l’autre, d’un regret de quelque chose, 

     

    cette culpabilité, pour que cette hantise familière devienne la peur de la peur.

     

    Peut-être devrait-on pour s’en débarrasser,

     

    l’étreindre un petit peu, avec sollicitude.


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    Plus simple…

                                                                                                                © Clo Hamelin - Dessin 

    C’est un sourire qui monte,

    un sourire comme une éternité.

    Qui contient toutes les vies, tous les souhaits, les orages.

    La grande histoire du monde ne tient qu’en un seul souffle.

    Un rayon de lumière qui passe dans les yeux de l’enfant.

    Et tant de mots, de recherches et de cris.

    Tant de désappointements, de tristesses et d’envies.

    On veut, on ne veut plus, on aime, on n’aime plus.

    Juste un petit lézard se faufile sous la pierre,

    une traînée de sable coulant entre tes doigts,

    un filet de soleil dans tes yeux éperdus.

    Et si on se laissait aller dans le flot accueillant…

    Mais on ne regarde pas. On fabrique des enfants

    et des décorations, des grimaces, et des duplicités.

    On tisse des projets, sans évaluer la suite.

    La magie du mental qui nous miraculise, qui nous anathémise,

    et qui rompt le pain du dimanche.

     

    Si on levait le voile de toute cette confusion,

    on distinguerait vraiment, et ce serait plus simple.

    Plus simple que l’on pense.


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    Éléments

     

    Le jade de l'herbe sous la goutte.

    Luisants d’eau, deux oiseaux bleus dans la feuillée,

    sous la déchirure du ciel s'envolent vers d'autres branches.

    Déflagration de l’orage, ainsi qu’une main puissante ébréchant le seul ciel.

    Il se hausse et retombe en fracas.

    Les myriades de pépiements, les becs vernis luisent sous la pluie,

    chacun de différentes tonalités s’égrène.

    Les feuillus sont en larmes et tièdes d’anciennes touffeurs.

    Un volet claque au mur, sous une rafale humide.

    Les chiens piaulent de peur, les chats s’emmitonnent au bois.

    Chacun reste au refuge.

    Le courtil est laissé, son sol est détrempé.

    Une lumière de tourbe derrière la fenêtre assombrit le logis.

    On attend. C’est l’humeur native qui règne.

    Cela est…


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    Déchirure du peintre

                                                                                 © Clo Hamelin

     

     

     

    On ne sait quand cela vient, en haillons ou nantis. 

     

    Après des déchirures de papier, des flétrissures de toile, 

     

    des cassures de châssis. 

     

    Enragée, infoutue. 

     

    Il suffit d’un alcool ou d’une fenêtre ouverte 

     

    pour que le mental lâche et s’étire ardemment. 

     

    Une idée s'improvise, on ne sait jamais d'où. 

     

    La tripe fertile arrosée d'immortelles,

     

    délivre son idée sur une palette de tons.

     

    La belle projection dans le cruchon divin, s'étire en d'infinies génèses. 

     

    Se chercher, encore, toujours, et jamais pareil le tableau, et la lumière qui bouge. 

     

    Cézanne, comme je te sens…


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    La fin de Minou

     

     

    Petite tante, tu es partie un soir d’un mois de mars gris de banlieue, sans plus d’attachement aucun.

    Depuis longtemps déjà. 

    Premiers jours de printemps, premiers jours d’escapade, de fugue de ta vie.

    Je t’ai accompagnée presque jusqu’au bout, car les mourants retardent leur départ si l’on reste trop longuement à pleurer. 

    Je me suis attachée à demeurer près de toi, éprouvant de conserve cet attirail dérisoire prolongeant une substance qui n’existe déjà plus.

    Ils t’avaient cloisonnée dans un repos absolu. Ce bip des moniteurs vibraient contre le blanc des murs.

    Un bruit d’où s’écoulait ta vie. Ta bouche entrouverte, tes yeux clos, sur plus jamais de regards. La conscience ailleurs.

    La peau plissée et mouillée aux paupières, la bouche comme un parchemin, le cheveu rare et sec, le corps enseveli sous des draps inféconds. 

    Ils me demandèrent si je voulais ta fin, rapide et sereine, car jamais plus tu ne pourrai redevenir ce que tu as été. Trop cassée, trop en vrac, le cerveau trop ailleurs, le corps en déficience. 

    Comment ça jamais plus ? Nous ne pourrions nous parler ? Elle ne pourrait résister ? Jamais je n’entendrai ce rire retenu et audacieux car timide, jamais plus je ne verrai cette lueur provocante et sévère qui m’accablait, cette arrogance lettrée débouchant sur le rire, cette charnelle séduction.

    Ignorante de ce qui te touchait, j’ai accepté. 

    Ils ont débranché ta vie. Irréversiblement.

    Tu partais lentement. 

    Le bip des moniteurs, résolument fidèles à leur technique implacable devenaient peu à peu, d’espace en espace, plus courts,

    plus lents, plus cotonneux, comme le sommeil irrévocable.

    J’ai failli m’échapper sans plus aucun secours. Je ne pouvais et rester et assister à cela, et partir et te laisser à cet abjecte déréliction. 

    Je m’étais projetée de pleurs et d’impuissance dans la blouse impassiblement blanche de l’alma mater, médecin de garde, de toutes les morts.

    Je n’ai pas reçu de retour bienveillant, juste un geste de recul, m’infligeant la pudeur. 

    Je suis retournée à ta cellule d’orée, la lisière de finitude.

    Toujours ce morne bip et ce souffle des machines. Au-dehors de la vie et de la mansuétude.

    La chaise froide de plastique inconfortable pour les proches qui pleurent me faisait me lever par moment.

    Je me penchais sur ta bouche pour écouter le souffle.

    Vers ton oreille pour murmurer des mantras lénifiants, pour ton long voyage, afin que tu t’élèves dans des nuées d’abondance,

    dans des soupirs enjoués. Je te souhaitais vivante dans cet antre d’épilogue. Tantôt pleurant cette absurdité, tantôt confiante de cette obscure opacité.

    C’était devenu intenable de rester ainsi, à la porte de ton extrémité, sans jamais pouvoir rien faire pour t’obliger à rester.

    Tu n’étais plus en mesure, tu avais trop usé de ta cassette de vie.

    Les William Peel de whisky, la tristesse et l’abandon du monde t’avaient achevée.

    Nous étions toutes et tous responsables, mais tu avais aussi joué d’engagement envers toi-même. 

    En pleurs, je te laissais à d’autres incertitudes. 

    Soulagée à la porte du sanctuaire des urgences, je hélais un taxi sous une pluie battante. 

    C’est vers onze heures que l’on m’appela.

    La fin t'avait saisie.


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